Démontant les trucs et manipulations des BHL, Finkielkraut, Zemmour, Houellebecq, Val et autres Fourest, Shlomo Sand pointe les principaux responsables de cette dégradation : les dirigeants des médias mainstream qui censurent les personnalités charismatiques, mais incontrôlables pour les remplacer par « l’autofabrication de leurs propres élites, des clercs qui se gardent de critiquer directement les véritables élites régnantes, qui savent parfaitement où se situe réellement le pouvoir et qui sont toujours disposés à accuser et à crucifier les misérables ».
« Le 30 septembre 2005, le journal danois de droite Jyllands Posten, publia une série de caricatures sur l’islam et les musulmans. Certaines d’entre elles ridiculisaient l’islam, et l’intolérance de beaucoup de ses fidèles. D’autres caricatures, plus mordantes, identifiaient directement l’islam et Mahomet au terrorisme. Un dessin de Kurt Westergaard ressortait particulièrement : le prophète y apparaît la tête ornée d’un turban en forme de bombe. Au Danemark, Westergaard fut bientôt adulé par l’extrême droite. Il se trouve qu’au Danemark, l’Église (luthérienne) n’est pas séparée de l’État, qui assure la rémunération des prêtres, mais il ne semble pas que Jyllands Posten ait un jour dénoncé cet état de fait.
En France, certains journaux, après avoir hésité, publièrent quelques-unes des caricatures les plus modérées mais, le 8 février 2006, Charlie Hebdo, l’organe « libertaire », s’empressa d’en publier l’intégralité, et n’hésita pas à en ajouter d’autres de son cru. Sur fond de protestations violentes dans le monde musulman, les ventes furent propulsées de 40 000 exemplaires habituellement (voire moins selon certains) à un demi-million.
Philippe Val et les anciens gauchistes de la rédaction retinrent la leçon : désormais, s’agissant de l’islam, il n’y aurait plus de distinguo entre « coup de marketing », liberté d’expression et laïcité radicale. Alors que le président Jacques Chirac qualifiait de « provocations manifestes à l’égard des musulmans » les caricatures et leur publication, une grande partie de la sphère médiatique parisienne, à commencer par Charlie Hebdo, n’hésitait pas un instant, avec une joyeuse irresponsabilité, à faire de Mahomet une sorte de nouvel Hitler, ou Staline, du XXIe siècle.
Feuilleter les numéros de Charlie, de 2006 à 2015, provoque la stupéfaction. Bien que la place consacrée à l’islam n’y soit pas centrale, elle est cependant loin d’être marginale ; l’islam est bien plus qu’un « détail » dans l’existence hebdomadaire du journal. On en retire l’impression que, dès lors qu’il s’agit de l’islam, tous les freins sont levés : les musulmans sont toujours répugnants, repoussants et même, la plupart du temps, menaçants et dangereux. Les dessinateurs de Charlie raffolaient particulièrement du postérieur de Mahomet, de ses testicules maigrelets et de son désir forcené de forniquer avec des porcs et des chameaux.
Les fidèles musulmans n’achetaient certainement pas cet hebdomadaire et n’y étaient pas abonnés, mais ils ne pouvaient échapper aux couvertures, exposées bien en vue dans tous les kiosques. Il y avait plus que de la laideur dans cette représentation méprisante et irrespectueuse de la croyance d’une minorité religieuse : le glissement permanent entre islam, musulmans et intégrisme radical était considéré comme « logique », et n’a jamais fait l’objet d’une distinction aiguë. »
Sand, Shlomo; La fin de l’intellectuel français, pp. 224-236 . La Découverte, 2016.
https://www.investigaction.net/fr/shlomo-sand-analyse-le-declin-des-intellectuels-francais-23