La France, la crise, et les solutions par Jacques Sapir

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Les manifestations du mouvement des Gilets Jaunes qui se sont déroulées le samedi 8 décembre dans toute la France ont montré que ce mouvement ne faiblissait pas. Il va donc continuer de s’enraciner et de s’approfondir. Mais, la journée du 8 a aussi montré que le niveau de violence de la répression était monté de plusieurs crans. Le nombre d’arrestations a dépassé les 1300, et sur ce nombre des centaines et des centaines se sont révélées arbitraires. Les enquêtes diligentées contre le député François Ruffin, contre un des représentants des Gilets Jaunes, et contre un animateur d’un mouvement écologique pacifiste, démontrent que le pouvoir, aux abois, est prêt à tout. Des personnes ont été blessées par la police, certaines en resteront estropiées à vie. Le symbole des véhicules de maintien de l’ordre de la Gendarmerie utilisés dans Paris restera. La répression est revenue au niveau des années 1968 et suivantes. Nous sommes donc aux antipodes de la société apaisée que nous promettait Emmanuel Macron au printemps 2017. Mais, dans la société actuelle, où tout se filme, certaines images ont fait le tour du monde, dont celles, honteuses, des lycéens de Mantes-la-Jolie, traités comme des prisonniers de guerre par la Police. Cela, aussi, restera à charge contre ce gouvernement.

La poursuite du mouvement est probable

Le mouvement va donc continuer. Il se heurtera, sur un certain nombre de points, à l’inflexibilité du pouvoir. C’est en particulier le cas pour le pouvoir d’achat où le gouvernement semble avoir exclu toute revalorisation significative du Smic et ne fera, visiblement, aucun geste envers les retraités. A la place, il négocie avec un patronat, qui lui a senti passer le vent du boulet, cette fameuse « prime » qui devrait être versée, par les entreprises qui le veulent, au début de l’année nouvelle. De même, des augmentations de salaires, dans les entreprises qui sont réputées le pouvoir, seront négociées avec les syndicats. Ne le cachons pas, nous sommes loin du compte. Cela risque, par ailleurs, de rendre une partie des militants du mouvement enragés. Le gouvernement ne mesure probablement pas l’ampleur de la colère qu’il va alors provoquer, ni d’ailleurs les conséquences de cette dernière.
Mais, cela n’a rien d’étonnant. Ce gouvernement a une feuille de route, imposée de fait par le cadre de l’Union européenne et surtout par celui de l’Euro. S’il sort de cette feuille de route, la sanction de la compétitivité, et celle des marchés financiers, sera immédiate. Le gouvernement a donc choisi d’écouter les marchés et de se plier à cet impératif de compétitivité dans le cadre de l’Euro. Car, et nous le voyons bien, c’est la monnaie unique qui, aujourd’hui, constitue ce cadre d’airain qui précipite notre pays dans ma misère et le malheur.

La réalité sur l’issue par la sortie de l’euro

Alors, on dira qu’une forte augmentation du pouvoir d’achat, accompagnée d’une large dépréciation de la monnaie, ce qui nous serait possible si nous sortions de l’Euro, s’accompagnerait d’une inflation importée qui mangerait l’augmentation initiale du pouvoir d’achat. Ce discours ignore les travaux de ces dernières années. Oui, une forte dépréciation (de 10% à 15%) augmenterait d’autant les prix des produits importés, du moins ceux importés des pays restant dans la zone Euro (et il est fort probable que si nous sortions de l’Euro, la France soit imitée rapidement par l’Italie, pays avec lequel nous avons un important commerce). Mais, même en supposant que TOUTES les importations augmentent, il convient de ne pas oublier qu’une part importante des dépenses de consommation des ménages concernent des biens et services produits en France : au moins 50% pour les ménages considérés comme « pauvre » ou comme « modeste » et environ 45% pour les autres.
Structure des consommations (source: INSEE)
Ainsi, une augmentation de 15% du Smic par rapport au niveau qui sera le sien en janvier 2019 (1391,5 euros net contre 1210 euros), accompagnée d’une dépréciation de la monnaie de 15%, ne provoquerait qu’une hausse sur moins de 50% des biens et services, soit une hausse de 7%. La hausse réelle du pouvoir d’achat, après avoir absorbée ce choc inflationniste, resterait de 7,5% soit environ de 100 euros par mois. A l’exportation, les salaires représentants environ 25% du prix final (et souvent moins), la hausse des prix internes induite par la hausse des salaires ne serait que de 3,75% (en supposant une hausse généralisée déclenchée par la hausse du Smic, ce qui est peu probable), hausse des prix qui laisserait un gain de plus de 11% du fait de la dépréciation de la monnaie.

Macron, président-zombie

Revenons alors à la situation actuelle. Le gouvernement agitera devant les Gilets Jaunes des colifichets politiques, comme la promesse d’une grande conférence sur les « territoires » (conférence qui s’impose par ailleurs), et sans doute la promesse de l’introduction de la proportionnelle aux prochaines élections. Mais, cette promesse restera liée à la volonté du gouvernement de réduire le nombre de députés et de sénateurs, ce qui selon toute vraisemblance bloquera la dite promesse.
Il est donc plus que probable que le mouvement perdure, en dépit de la répression, en dépit de la violence. Le gouvernement devrait alors être contraint à de nouveaux gestes, mais qui – pour les raisons que l’on a présentées – ne pourront être que politiques. Il est probable qu’il sacrifiera alors le Premier-ministre (et l’on sent dans les différentes écuries politiciennes déjà s’échauffer les candidats potentiels), voire qu’il se décidera pour une dissolution.
Nous en sommes donc là.
Mais, en réalité, l’image d’Emmanuel Macron est déjà irrémédiablement abimée. Elle l’est en France, et que sa côte de confiance soit tombée à 18% est un bon indicateur, mais elle l’est aussi à l’étranger. Il faut mesurer l’impact dévastateur de certaines images, et en particulier de celles liées à la répression, hors de France. Quand bien même Macron survivrait à une dissolution – ce qui, compte tenu du mode de scrutin est possible – ses capacités d’action tant en interne qu’à l’extérieur seraient considérablement réduites. Certes, les institutions de la Vème République peuvent le faire survivre, mais en temps que Président Zombie, que mort-vivant. Il n’est pas dit que cela convienne à ses mandants réels, les oligarques qui ont tout fait pour le mettre à la Présidence et qui ont largement profité de ses largesses. Sachons le, la reconnaissance n’est pas une qualité fréquemment montrée en politique…
La France est donc entrée dans une crise de longue durée. Cette crise aura des dimensions sociales, politiques et institutionnelles. Mais, cette crise obligera les citoyens à ouvrir les yeux sur les effets pervers du cadre de l’Union européenne, et en particulier de l’Euro. En cela cette crise porte en elle, non pas directement mais indirectement, dans la prise de conscience qu’elle va provoquer, sa propre solution.