L’insurrection et ses sources

insurrection

Le mouvement des gilets jaunes est une révolte populaire à caractère insurrectionnel.

C’est une révolte populaire et non un mouvement social dans la mesure où ce n’est ni un parti politique ni un syndicat qui est à la manœuvre. Ce sont les gens qui se sont mobilisés spontanément, à partir d’un élément déclencheur (l’augmentation des taxes sur le diésel), qui est venu comme une goutte d’eau qui a fait déborder un vase trop rempli depuis de nombreuses années (au moins 35 ans). Dès lors, la question n’est pas une question de droite, de gauche ou du centre ; ce n’est pas une question politicienne ; c’est en revanche une question éminemment politique au sens du latin classique politicus, « relatif à l’administration des citoyens »et du grec ancien politikos, « relatif aux citoyens ».

À caractère insurrectionnel dans la mesure où, très rapidement, c’est tout le contenu du vase qui s’est déversé et non le seul élément déclencheur. Ce sont donc les questions de justice fiscale, de répartition des richesses, de salaire, de pension et de retraire, de démocratie, etc. qui ont surgi. La multiplicité des « revendications » fait dire à certains que le mouvement part dans tous les sens, est incohérent et fait s’interroger d’autres sur le fait de savoir « comment satisfaire autant de revendications et si diverses »… Non, le mouvement ne part pas dans tous les sens, il n’est pas incohérent et il ne faut pas traiter les demandes formulées comme des revendications individuelles qui pourraient être satisfaites ou pas individuellement. Ce que demandent les gilets jaunes c’est un changement de système. Et c’est cette demande qui reçoit le soutien de la majorité des Français qui la trouve suffisamment légitime pour continuer à soutenir le mouvement malgré quelques violences ici ou là, immédiatement montées en épingle par le pourvoir en place et les médias aux ordres.

Quelles sont les sources cette révolte ? J’en vois au moins trois :

LE CAPITALISME en est une première source et plus particulièrement l’hyper financiarisation des moyens de production. On est ainsi passé d’un capitalisme industriel où les moyens de production appartenaient au patron et/ou à une famille d’industriels à un « capitalisme financier » où les moyens de production sont entre les mains de fonds d’investissement détenus par une multitude de personnes physiques et de personnes morales. Ce morcellement de la propriété des moyens de production fait peser une très faible part de la responsabilité sur chaque propriétaire.

Parallèlement, pour s’assurer que les dirigeants des entreprises défendent bien les intérêts des actionnaires, ces derniers donnent des actions aux dirigeants en complément de leur salaire. Les dirigeants ne sont donc plus exclusivement des salariés – comme pouvait l’être le directeur d’une usine, ils deviennent également des actionnaires. Le moment venu, ils ont moins de mal à mettre en œuvre un licenciement massif, pardon, un « plan de sauvegarde de l’emploi », qui fera mécaniquement monter le cours de l’action.

Cette évolution a ouvert la voie à des taux de rendement faramineux. Ainsi, les fameux 15% exigés par certaines actionnaire ou encore les LBO (Leverage buy out) permettent à ces fonds d’acquérir d’autres entreprises en s’endettant et en les revendant rapidement afin de bénéficier d’une plus-value permettant de rembourser tout en s’assurant un taux de rendement de près de 25 % par an. On est bien loin des 8 à 9% des années 90…

Évidemment, pour atteindre de tels niveaux  de rentabilité, il faut inévitablement baisser les coûts de production qui sont pour l’essentiel constitués de la rémunération des salariés. C’est ainsi que les salaires sont bas et que le chômage est élevé et que pour éradiquer, le seul moyen est d’assouplir au maximum le système et de créer de la précarité. Pauvreté ou précarité, il faut choisir. C’est ainsi qu’en 2017, les 1% les plus riches ont accaparé 82% des richesses produites alors que la situation n’a pas évoluée pour les 50% les plus pauvres.

C’est cette inégalité et cette injustice dont les Français ne veulent plus.

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L’UNION EUROPÉENNE est une autre source, notamment à partir du traité de Maastricht,  qui a signé l’abandon progressif de la souveraineté des États dans le cadre d’un fonctionnement non démocratique.

Sa souveraineté financière d’abord. En effet, chaque État membre de l’union doit soumettre à la Commission européenne son budget. L’étude des budgets des pays membres de la zone euro se base sur une succession de textes européens. En 1992, le Traité de Maastricht a instauré les « critères de convergence » imposant aux États membres de contrôler leur taux d’inflation, leur dette publique (60% du PIB) ainsi que leur déficit public (3% du PIB). Cinq ans plus tard, le Pacte de stabilité et de croissance est venu préciser ces obligations. Enfin, deux paquets législatifs adoptés en réponse à la crise ont complété cet ensemble : le « six-pack », en 2011, suivi du « two-pack » en 2013. La procédure d’examen des budgets est incluse dans ce dernier ensemble. La Commission y demande aux États membres de la zone euro de lui soumettre « un projet de plan budgétaire », qui doit être « cohérent avec les recommandations qui leur sont adressées ». Autrement-dit, non seulement la Commission européenne doit valider le budget de chaque État, mais de plus elle émet des recommandations qui doivent être suivies. Bref, le budget des États est dans les mains de la Commission européenne.

Sa souveraineté législative ensuite. En effet, la fonction principale de la Commission européenne est de proposer (initiative législative) et de mettre en œuvre les politiques communautaires. « Gardienne des traités », elle veille à leur application et jouit d’un quasi-monopole du droit d’initiative dans le domaine des compétences exclusives de l’Union, comme l’union douanière, la préservation des ressources biologiques de la mer, le marché intérieur, la monnaie unique. Or, les lois et les traités de l’union s’imposent aux États membres, c’est ce que l’on appelle la supranationalité européenne.
Si le budget et une grande partie des lois ne dépendent plus des États, mais de l’Union européenne, quel pouvoir reste-t-il aux dirigeants de ces États.

C’est donc une grande partie de leur souveraineté politique que les États ont transmis à l’Union européenne. C’est cette souveraineté des États et donc d’eux-mêmes que les peuples veulent retrouver.

Le caractère non démocratique de l’Union européenne teint en grande partie au fait que la Commission européenne dont on vient de voir l’ampleur des pouvoirs n’est pas composée de membres élus, mais de commissaires (les fameux commissaires européens) proposés par les chefs d’État ou de gouvernement des États membres réunis au sein du Conseil européen, et approuvés par le Parlement européen. On nage donc en plein marigot politique au pire sens du terme.

C’est ce fonctionnement non démocratique de l’Union européenne et par voie de conséquence de la France dont les gens ne veulent plus.

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LES MÉDIAS sont une troisième source et notamment la concentration des moyens de production de l’information entre les mains de quelques milliardaires.

Ces oligarques détiennent 89% des journaux vendus. Les chaines de télévision qu’ils possèdent font 55,3% de part d’audience. Les stations de radios qui sont entre leurs mains font 40,4% de part d’audience.

Qui sont-ils ?

medias5Cela pose plusieurs problèmes :

La concentration. Il n’est évidemment pas sain qu’une si grande part de la presse appartienne à quelques personnes.

L’indépendance. Il n’est pas normal que les principaux médias français soient entre les mains de marchands d’armes, d’entreprises du luxe, du BTP, de la téléphonie, de banquiers ou de fabricant de toilettes. À l’évidence, ces propriétaires ne peuvent pas concilier liberté de l’information et intérêts privés.

La pluralité. Cette situation encourage la reproduction d’un système économique qui assure la continuité des intérêts financiers de ces personnes.

Et qu’est-ce qui motive de riches patrons à devenir propriétaires de médias qui ne rapportent pas vraiment d’argent si ce n’est pour acheter de l’influence ?

C’est cette information biaisée, cette fabrication permanente du consentement dont les Français ne veulent plus.