Redonner leur sens aux mots et refuser de céder aux amalgames mortifères

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Seuls quelques abrutis antisémites nourrissent la haine des juifs. Ils sont une minorité en France, même s’ils sont déjà trop nombreux. Tous les autres en convienne.

Plus nombreux sont ceux qui critiquent la politique d’Israël vis-à-vis des palestiniens, mais également vis-à-vis de ses voisins régionaux.

Nombreux sont ceux également qui critiquent la dérive messianique du projet sioniste. De quoi s’agit-il ?

Plongeant ses sources dans la haute antiquité biblique, le fondamentalisme messianique juif a pris son essor en juin 1967, après la conquête de la Cisjordanie et, surtout, du Haram Al-Sharif, le troisième lieu saint de l’Islam. Les idéaux, la politique, les principes qui avaient inspiré le sionisme des origines, libéral et pragmatique, ont été, à mesure que progressait la pénétration du fondamentalisme juif dans la société israélienne, de plus en plus marginalisés. Les militants de ce mouvement religieux, allié à la droite nationaliste, s’opposent à toute concession territoriale, et a fortiori à la création d’un État palestinien souverain et indépendant. La diffusion de l’idée messianique et son corollaire, le développement de la colonisation juive en Cisjordanie, rend impossible toute solution à deux États. Un nouvel Israël est-il en train de naître qui revendique ses frontières bibliques qui s’étendent « du fleuve d’Égypte à l’Euphrate » (Genèse 15:18-21), recouvrant ainsi Israël, la Cisjordanie, la bande de Gaza, le Liban ainsi qu’une partie de la Syrie, de la Jordanie et de la péninsule du Sinaï.

Source : ENDERLIN Charles, Au nom du temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013), 2013, Seuil.

Il est donc faux et malhonnête de dire qu’être antisioniste signifie nécessairement être antisémite. Il est tout aussi faux et tout aussi malhonnête de dire qu’être antisioniste signifie nécessairement vouloir la disparition de l’État d’Israël, voire des juifs.

Cela peut tout a fait signifier que l’on refuse la dérive messianique du projet sioniste qui gangrène depuis de nombreuses années la politique d’Israël à l’égard des palestiniens et de ses voisins régionaux. Cet antisionisme qui dénonce la dérive messianique de la politique Israélienne devrait d’ailleurs être la position de la communauté internationale, de l’union européenne et de la France. Il est en effet inacceptable qu’un pays – Israël – refuse de fixer définitivement ses frontières, refuse de rester dans les frontières qui ont été dessinée au moment de sa création et cherche aujourd’hui à s’étendre sur des territoires qui sont ceux d’États souverains.

Sur ce point, l’ONU a mainte fois condamné Israël qui ne respecte pas plus de 30 résolutions de l’ONU (voir ICI).

En 2017, Virginia Tilley, professeur de sciences politiques à Southern Illinois University, et Richard Falk, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens et professeur émérite de droit international à l’Université de Princeton ont rédigé un rapport intitulé « Pratiques israéliennes envers le peuple palestinien et la question de l’apartheid » commandé et publié par la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CESAO). Ce rapport affirme qu’Israël est « coupable de politiques et de pratiques qui constituent le crime d’apartheid » , et que « le consensus des experts est que l’interdiction de l’apartheid est universellement applicable, et n’a pas disparu du fait de l’effondrement de l’apartheid en Afrique du Sud ». Pour mémoire, l’apartheid est un crime contre l’humanité en vertu du droit international coutumier et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (voir ICI). Comme on pouvait s’y attendre, sous la pression d’Israël et des États-Unis, le Secrétaire général de l’ONU s’est dissocié de ce document. Après plusieurs jours de polémique, la  Secrétaire générale adjointe des Nations unies, Rima Khalaf, qui l’avait mis en ligne, a démissionné et le rapport a été enterré (voir ICI).

Les partisans de la dérive messianique du sionisme œuvrent activement depuis plusieurs années pour confondre antisémitisme et antisionisme dans le but de criminaliser l’antisionisme et, plus largement, toute critique de la politique israélienne immédiatement assimilée à une résurgence du nazisme et, en France, « des heures les plus sombres de notre histoire ».

Il ne sont pas les seuls. En effet, de très nombreux juifs sont très attachés à Israël en tant que « foyer pour les juifs » qui les protège d’un antisémitisme millénaire et de ses conséquences atroces sous le régime nazi. Sans nécessairement être partisans voire même conscients de la dérive messianique du projet sioniste et de la politique israélienne. Ils défendent Israël par principe et au nom de la tentative d’extermination dont leurs ancêtres ont été victimes. On les comprends ! Pour autant, il est important qu’ils comprennent que cette dérive n’est pas acceptable au regard du droit international, de la souveraineté des États voisins d’Israël et de la paix dans la région et au delà. Ils doivent comprendre également que cette dérive est aujourd’hui la pire menace pour la sécurité des juifs dans le monde, car elle ne peut que contribuer à alimenter l’antisémitisme, le vrai.

Si le projet de loi annoncé qui vise à criminaliser l’antisionisme est adopté, les partisans de la dérive messianique du sionisme auront gagné une bataille : il ne sera plus possible de critiquer le projet sioniste dans sa dérive actuelle et Israël pourra continuer sa politique criminelle.